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petite  ANTHOLOGIE  de  poésie  et  de  musique  de  chambre

de Baudelaire     (pas de bande son)    

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Les sept Vieillards
(version 2023 de Philippe Martineau)



Tandis qu'au point du jour et qu'au long de la rue
Un brouillard occupait quatre fois ma hauteur
Et simulait sans doute une âme disparue,
Je marchais en scrutant comme un explorateur.

J'aperçus un vieillard dont les guenilles jaunes
Balayaient la chaussée et dont l'aspect pouilleux
Vous aurait - comme à moi - soutiré des aumônes,
Sans la méchanceté qui luisait dans ses yeux,

Canne au poing - lui donnant l'air d'un bouc à trois pattes
Ou d'un bipède en rut - il allait m'ignorant,
Comme s'il écrasait mon coeur sous ses savates,
Hostile à l'univers plutôt qu'indifférent.

Un autre le suivait : mêmes traits, mêmes loques,
Jumeau jusqu'à la moelle et comme revenu
Du même mausolée, et ces spectres baroques
Marchaient du même pas vers un but inconnu.

A quel complot infâme étais-je donc en butte,
Ou quel méchant hasard ainsi m'humiliait ?
Car je comptai sept fois, de minute en minute,
Ce sinistre vieillard qui se multipliait !

Quant à vous, qui ritez de mon inquiétude,
Et n'êtes pas saisi d'un frisson fraternel,
Songez bien que malgré tant de décrépitude
Ces sept monstres hideux avaient l'air éternel !

Aurais-je, sans mourir, contemplé le huitième.
Sosie inexorable, ironique et fatal,
Phénix infect, enfant et père de lui-même ?
— Mais je tournai le dos au cortège infernal.

Exaspéré comme un ivrogne qui voit double,
Je rentrai, verrouillant quatre fois, dévasté,
Malade et morfondu, l'esprit fiévreux et trouble,
Blessé par le mystère et par l'absurdité !

Vainement ma raison voulait prendre la barre ;
La tempête en jouant déroutait ses efforts,
Et mon âme dansait, dansait, vieille gabarre
Sans mâts, sur une mer monstrueuse et sans bords !


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