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petite  ANTHOLOGIE  de  poésie  et  de  musique  de  chambre

de Christian GROS

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OREILLER HAUT DE GAMME

Je souffre de profonde insomnie.

Hier, n’en pouvant plus, je suis allé acheter un oreiller haut de gamme, dans l’espoir d’accéder enfin à un sommeil de bébé. Vous savez, cette espèce d’oreiller de compétition, dont on ne sait trop par quel côté s’en saisir… Et qui fait presque peur !! Ce qui se fait de mieux dans la galaxie. L’oreiller en question, qui coûte à peu près le prix d’un télescope, était qualifié par le fabricant d’antiallergique, d’anti-acarien, d’anti-adhérent, d’anti-stress, d’antiradiations, et d’anti-tellurique. Recouvert d’un assemblage de peaux amincies de bigorneaux, il devait donner au dormeur l’impression de flotter, telle Ophélie, sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles, comme l’a écrit Rimbaud ; Sans doute un soir d’insomnie.

Dès le premier test, à peine ma tête posée sur cette merveille, j’ai littéralement disparu à l’intérieur !! D’un coup !… L’instant d’avant, je m’allongeais sur le lit… L’instant d’après : Paf !… Disparu !!… Ça fait peur… Et je me suis retrouvé, flottant entre les eaux indéfinies de l’inconscient, accompagné à mes côtés d’une sirène mamelliforme, portant, tatouées sur sa queue, les sept prochains tirages gagnants du loto. Comme la température était idéale, c’est-à-dire juste au-dessus du point d’ébullition, je n’avais qu’à tendre la main pour déguster toutes sortes de bananes des mers, roses à l’arête, ou pour grignoter de petits groupes de grenouilles, toutes cramoisies d’être tombées de leurs bénitiers dans les eaux brûlantes de mes pensées. Dans ce monde hors du commun, je me déplaçais sans faire la moindre bulle, en nageant le papillon crawlé, et des haies de plancton saluaient cet exploit en agitant leurs baleines de parapluies… J’avais mis une partie de ma fortune dans l’achat de cet oreiller, mais comme j’en fus bien récompensé !! Depuis, chaque soir, je pars à la découverte de mondes dont vous n’avez pas la moindre idée. Jusqu’à présent, le jour, j’étais comme le bourgeon de l’arbre, passager, et discret. Désormais, la nuit, je suis l’arbre. Je puise dans l’invisible du monde des sensations insoupçonnées, et je m’y déplace au gré des lignes de forces du cosmos.

Chez le même fabricant que celui de l’oreiller, j’ai vu qu’il proposait également une couette en forme de narine de papillon matelassée avec des plumes d’escargots. J’hésite cependant à investir dans cette merveille. J’ai trop peur que le sommeil proposé ne m’entraîne, de par sa qualité, en dehors des limites du système solaire… Et pour un voyage sans retour.

Or, demain, c’est samedi, et je dois passer l’aspirateur.



© Christian Gros
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