en   MOT  dièse
petite  ANTHOLOGIE  de  poésie  et  de  musique  de  chambre

de Christian GROS

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La voleuse de vertu

Le côtoiement de la plèbe - inhérent aux transports en commun - est, pour une personne agoraphobo-maniaque comme moi, très difficile à vivre : D’abord, la foultitude transpirante m’angoisse au plus haut point, et j’essaie toujours de me concentrer afin de l’ignorer ; Ensuite, je ne supporte pas qu’un seul pli de ma tenue vestimentaire ne soit pas à sa place ; Enfin, je suis très perturbé à l’idée que l’écartement de mes deux pieds (m’assurant un bon centre de gravité) ne soit pas parfait; Trois critères qu’il m’est souvent difficile de respecter lors de mes déplacements quotidiens en métro, surtout aux heures de pointe.

Or, ce matin, une femme était littéralement pressée – que dis-je : vautrée – sur moi durant tout mon parcours ératépiste. Et qu’elle fût jeune, fort belle et très dévêtue ne changeait rien à mon agacement : Ma veste plissait, ma stabilité restait précaire, et l’énergie que je dépensais à rétablir cet ordre bancal était aussitôt contrecarrée par la ventouzité de ma compagne de transport, qui suivait au millimètre près toute modification spatiale de mon être aux abois. Je maudissais une fois de plus les salariés basiques, les chiens d’aveugles, les cloportes, les miasmes en suspens, toute cette clique de formes vivantes qui se déplace quotidiennement dans le métro. La rame bringuebalait, s’arrêtait en milieu de tunnel, un grincement de voix dématérialisée hurlait aux haut-parleurs des conseils inaudibles, je rêvais de plonger le conducteur dans de la moutarde en ébullition, tout recommençait à chaque station et, me semblait-il, à l’infini…

Et toujours, la créature me collait à chaque virage, telle une méduse sur un bernard-l’ermite…

Au bout d’un temps qui me parut interminable, elle quitta enfin la rame… Peu à peu, je recouvrais de ma lucidité… Et ce ne fût qu’à cet instant que je me rendis compte que nous avions été les deux derniers occupants de notre wagon, et cela sans doute depuis déjà un long moment ! Ce n’était donc pas l’inertie d’une foule inexistante qui avait guidé ma collègue de trajet dans ses incessants mouvements de ressac, mais bien une volonté délibérée de sa part !…

Je compris alors, qu’obnubilé par mes préoccupations matérielles maladives, j’avais à mon insu déjoué les plans d’une Voleuse de Vertu !!…



© Christian Gros
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