Un poète de
grand chemin, qui n'avait que les mots à se mettre sous
la dent, croisa en route un poète de cour, à l'embonpoint
provocateur et à la gorge taurine au fond de laquelle
grouillaient boudins et saucissons. Charcuter ce versificateur
et le couper en... rondels, notre affamé l'eût
fait sans façon ; mais il fallait un sécateur
et beaucoup de cuisson, et risquer en outre l'indigestion !
Optant pour la diplomatie, il fit au lourdaud compliment pour ses rondeurs
de galion, et l'autre fut si flatté qu'il s'en dévissa
la vessie avant que d'entonner une sonate pour trompe à
pets, sa toute dernière composition (ou si vous préférez,
décomposition), dédiée à son maître
et seigneur : Sa Majesté le Roi Louis d'or.
Estimant avoir donné un aperçu suffisant de la profondeur
de son instrument le « trompe-à-pétien »
se crut alors obligé d'expliquer la cause de son encombrant
embonpoint :
« C'est qu'à la cour les vers riment avec couverts,
car le Roi et ses marquis ont le culte du beau vers et n'ont
de cesse que de convier à leurs festins les tisserands
du verbe, même ceux qui, comme moi, s'accompagnent à
la trompe à pets. Et si votre muse a tant faim de nourritures
terrestres, qu'elle me suive donc pour être du prochain
banquet ! »
Et notre vagabond, tout estomaqué, d'emboîter le pas
du courtisan.
Chemin faisant, notre affamé (s'étant soudain de la fameuse
fable rappelé) vit le trou du courtisan pelé.
« Vous allez me trouver fort indiscret, osa-t-il, mais...
quel chancre a pu vous mettre l'anus dans un pareil état
?
Ne parlez pas de chancre je vous prie ! c'est que mon maître
et vénéré seigneur aime tant à me
prendre en levrette, voilà tout. Mais que rien de tout
cela ne vous inquiète : ce n'est qu'un coup à
prendre, même si la toute première fois, je le
confesse, le Roi et ses marquis trouvèrent trop vert
mon trou de trouvère. »
Et pour réprimer
toute velléité réprobatrice il ajouta :
« Vous n'auriez quand même pas voulu que ce noble
aréopage, qui a lu, ou a fait lire, Voltaire et Rousseau,
se contentât d'esclaves, de chèvres et de vils
pourceaux ? »
À cela l'autre n'osa rétorquer, de peur de passer pour
amant du passé. Mais néanmoins soucieux d'épargner
le décor, il s'esquiva soudain en serrant les fesses,
et les serre encor.