Album de campagne
J'aime
le doux lézard à la queue infidèle
poudrant les chemins creux d'une peureuse fuite
quand on brouille son rêve aux reflets de soleil
et
le scarabée gourd dans sa coque recuite
toujours prête à s'ouvrir où a déteint
le vert
de l'herbe lessivée par la rosée bénite
la
fourmi pointilleuse, qui brode sur la terre
de noirs desseins menus son va-et-vient précis
la seule à posséder le sol de l'univers
le
bourdon ceinturé du pollen recueilli
en d'infimes baisers sur les lèvres des roses
dont les mots odorants lui ouvrent l'appétit
le
criquet si bavard brindille tard éclose
comme un fragment brisé d'un trop-plein d'air vibrant
qui répète la phrase apprise au cur des
choses
le
cafard - pourquoi pas ? brun noceur élégant
prompt à faire trois tours de danse méconnue
sur les voiles de soie et les tapis persans
la
chenille craintive à la minceur poilue
ne pouvant avancer qu'au prix d'un tel labeur
qu'à la fin de sa course elle s'endort fourbue
le
papillon semant l'éclair de ses couleurs
sur ses ailes collées en précieuse poussière
dont il échange l'or contre le suc des fleurs
la
libellule bleue volant à la lumière
sa transparence d'eau et portant le plaisir
du regard qui la suit dans sa journée altière
et
l'habile araignée dont les pattes étirent
un miracle de fil où elle pend sa vie
condamnée au chef-d'uvre afin de se nourrir
j'aime
tous ces multiples, qu'on admire, qu'on détruit
humbles et sans rancune, têtus et ponctuels
et qui tissent le monde, pour nous à petits bruits.
in « De Lune et d'Or » - 1997
par Philippe LEJOUR (
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