Fantasme
La boîte rouillée
se souvient qu’elle fut belle
avant d’être vidée
Quand elle était pleine
et qu’on la convoitait
on la choisit exprès
parmi des centaines
comme elle
Imagine-t-on ce qu’il fallut
pour la faire telle ?
Elle était pleine de quoi
déjà ?
elle ne sait plus
ce qu’elle a fourni
sans doute l’haleine
du vent
aurait pu le dire
ou quelques fourmis
mais le vent a changé
et l’insecte est muet
Et ceux qui l’ont ouverte
ont des souvenirs si mouvants !
d’ailleurs ils l’ont offerte
après l’avoir violée
aux poubelles
et aux jeux des garçons
Et il n’y a plus qu’elle
qu’elle vraiment
à savoir sa beauté
d’hier
sa rondeur de flacon
son habit de papier
sur ses os de gris fer
et sa saveur d’entrailles
conservant la vie
ramassée ou cueillie
quelque part où l’on peine.
Si aujourd’hui
elle n’est
qu’une rouille perdue
sans forme et sans usage
et qui a effacé
ce qu’elle fut
et même son âge,
au moins elle se rappelle
l’essentiel :
qu’avant de se remplir
de pluie et de mystère
elle a fait son travail.
C’est pourquoi elle peut
certain soir de poète
dérober un rayon
au prodigue couchant
et s’enrouler dedans,
forçant notre mémoire
d’une ultime illusion
jusqu’à nous faire croire
ce que jamais elle n’a été :
toute diamantée,
et puis s’oublier net
dans son coin de banlieue.
in « De Lune et d'Or » - 1997
par Philippe LEJOUR (
bio) :
par Gilles-Claude THéRIAULT :