« Vous voyez tous ces boutons » me dit le chef.
« Celui-là, le bleu sur la gauche, quand le ministre entrera,
vous appuierez dessus. La Marseillaise éclatera. La musique
terminée, vous presserez sur le bouton vert pour les
acclamations, vivats et bravos.
Et avec prudence ( une prudence infinie) une légère presssion à
peine esquissée sur le bouton rouge vous donnera quelques cris
hostiles, pour la vraisemblance.
Le bouton noir, si vous appuyez légèrement comme cela, retirera
le chapeau du ministre et son pardessus. Puis un effleurement
sur le bouton blanc le brossera.
A ce moment, n’oubliez pas le bouton gris amenant le fauteuil
juste sous le séant du ministre. Un coup, un seul sur le bouton
rose et le ministre s’assoira. Vous avez compris ? »
Ce n’était pas bien difficile. J’inclinai affirmativement la
tête. Puis nous allâmes déjeûner copieusement.
De retour devant le tableau de bord, je m’étonnai de
l’instabilité des boutons de commande, que j’avais quitté une
heure avant en parfait repos. Tout dansait sous mes yeux.
Essayant de me remémorer les instructions du chef, je m’entrainais
à poser les doigts sur chacun des boutons dans l’ordre indiqué.
Mais par un curieux phénomène, visant l’un, c’était l’autre que
j’atteignais.
L’heure de commencer sonna.
L’entrée du ministre, je ne sais pourquoi, fut saluée par une
bordée d’injures grossières et de coups de sifflet. Quelques
coups de feu furent tirés, je crois m’en souvenir. Une
Marseillaise à peine murmurée essayait vainement de se faire
entendre du fond de la salle. Du banc des notabilités
ecclésiastiques les jurons les plus gras semblaient sortir.
Quelques bons coups de brosse eurent vite raison de la fureur du
ministre qui vint s’affaisser complètement au pied des tribunes
sous le poids du fauteuil, tandis que la brosse s’acharnait sur
lui.
Alors qu’il gémissait, lentement, dans un style impeccable, une
machine le débarrassa de son chapeau et de tous ses vêtements.