en   MOT  dièse
petite  ANTHOLOGIE  de  poésie  et  de  musique  de  chambre

de Philippe MARTINEAU (LIBRAIRIE) :

Vidéos en bas de page - Cliquer ici en cas de problème de visionnage de nos vidéos

La grande élection

À l’époque où le monde prenait enfin conscience – et conscience de sa course erratique – l’on se réunit en conclave afin d’élire parmi les membres de l’assemblée le dieu des êtres et des choses, c’est-à-dire celui auquel on confierait – ou plutôt on abandonnerait – le gouvernail de l’univers et qui déciderait dorénavant des couleurs de l’arc-en-ciel et de l’humeur des dames.

L’on dut d’abord procéder à l’expulsion de quelques mauvais plaisants qui pré-tendaient que la place n’était pas vacante et qu’un certain Yahvé l’occupait déjà, ainsi que d’autres, d’un bord adverse mais tout aussi portés à l’excès, bardés d’une arrogance propre à les convaincre que cette même place, étant vide, devait le rester.

Chaque prétendant fut alors convié à susciter un prodige propre à lui rallier la majorité des suffrages.
Ainsi, le premier dévoila la face cachée des astres. Puis le suivant, d’un seul coup d’œil, incendia l’ombre servile qui le suivait depuis toujours. Et puis cet autre qui d’un œuf pondu en vol fit éclore un soleil rose, conçu pour n’éclairer que le bon côté des choses. Ou tel autre encore qui réveilla l’aube à minuit ( sans que nul ne souffrit du décalage horaire ainsi induit ). Il y eut également celui qui avait pour poumons des essaims de guêpes, celui qui savait s’enfuir de l’instant qui nous rend éphémères, celui qui, ceint de son collier de vagues, secoua l’océan de nos îles désertes. Et cetera, et cetera.

Alors que s’étaient produits tous les candidats annoncés et que le jury se retirait pour délibérer, la vieille assise au premier rang secoua subitement sa voix de verroterie pour témoigner que le ciel allait bas, prêt à ceindre celui que l’on allait élire. L’on sentit alors parmi les jeunes filles de l’assistance s’accroître les cœurs, les aortes. L’inattendu semblait devoir jaillir, sommé de s’accomplir ; ce qui ne manqua pas de faire penser qu’un maître du sort en réglait la mise en scène.

Et ce fut alors qu’en effet, bondissant des derniers gradins, un jeune homme acquit le regard de tous et fit l’événement, désamorçant les moues les plus con-descendantes et les mines les plus espiègles : il venait de faire d’un jaune d’œuf un rouge-gorge, lequel, allant se nicher entre les seins d’une mignonne, ne fit qu’accroître l’ovation.

L’oiseleur inopiné fut, sans nulle délibération, en chœur et avec allégresse, proclamé Dieu éternel et tout-puissant, avec, en prime, pour ange intercesseur la belle que l’oiseau avait choisie.

L’on jugea néanmoins prudent de ne pas lever la séance sans avoir fait voter – à coupes de Champagne levées – le principe de tenir un second conclave, dont la date serait fixée ultérieurement par le hasard ou la nécessité.



in « Zygomathèque » - édition 2005

par Philippe LEJOUR (bio) :

par le même interprète (à la Cave à Poèmes) :
Accueil | Poésie | Fables et farces | La Fontaine parodié | Aphorismes | Musique de chambre | Spectacles | Contact et liens