Le hérisson et la belette
Amoureux fou d’une belette, un hérisson le lui déclare. Et
l’autre, dont le désir ouvre la bouche, répond au bon parti qui
s’offre à elle :
– Vous, amoureux ? et depuis quand ? Vous, m’offrir un bouquet
de piquants ! Mais qu’ai-je à faire de cette armure ? la guerre
est finie et les chemins sont sûrs. Troquez donc vos mœurs
contre de plus douces, car pour me plaire il faut être poli de
l’âme jusqu’au dos, le vôtre hélas l’étant si peu... Afin qu’il
le soit plus, souffrez que je l’épile un peu, beaucoup, pass...
mais souffrir passionnément n’est-ce pas trop pour la chétive
bête que vous êtes... ?
– M’arracher jusqu’au sang ce poil qui vous déplaît ne saurait
m’arracher de plainte pour autant ! répond-il, fier comme un
drapeau.
On arrache donc à chaud, et sans que la douleur puisse se
prévaloir du moindre cri. Mais la peau du patient, plus meurtrie
que muette, appelle des soins, que notre amante est prête à
accomplir :
– Mais sachez bien, dit-elle, que pour jouir de mon toucher il
faut qu’on n’ait point d’autres sens en éveil...
Et se prêtant au jeu, l’amoureux ferme l’œil et l’oreille.
Et c’est ainsi qu’il fut... croqué – toute chair est meilleure
quand elle a bien souffert –, et rien ne fut perdu à ce festin
de noces : car même les piquants firent office de... cure-dent.
Le hérisson et le renard
− Certes,
la cruauté de ton cuir,
dit le renard au hérisson,
n’est point sans te donner fière allure
mais ne permet d’embrassade entre nous
qu’au prix de profondes piqûres.
Et faire ainsi obstacle aux soins de l’amitié
m’est d’autant plus odieux
que sous ton cuir à clous
bat un cœur tendre,
tout comme le mien !
Aussi, que ne rends-tu au fourrier ta tenue militaire
pour que je puisse enfin te donner l’accolade.
– J’y consens volontiers !
mais, préséance oblige,
point avant qu’on n’ait mis au vestiaire
ce dentier qui t’encombre,
et dont tout amour, en principe, n’a que faire...
in « Le Tétracardiophore et autres historiettes » édition 2016
(voir LIBRAIRIE)