en   MOT  dièse
petite  ANTHOLOGIE  de  poésie  et  de  musique  de  chambre

de Philippe MARTINEAU

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La Revenante


– Alors que la bise est repartie d’où elle était venue et que gonfle à nouveau le grain à récolter, voici qu’un rêve en plein jour me colle aux yeux : la cigale (encore elle) y tient le premier rôle, et cette emprunteuse éconduite y danse sans pudeur... sous une pluie d’écus ! Illusion certes, mais tenace ! (qu’il convient de dissoudre au plus vite) et l’allant effacer d’un revers de main, je me heurte à un corps... insoluble dans l’air ! Vous vivante et respirant encore ! alors que la rumeur vous avait mise en bière. Mais par quelle impudence avez-vous pu tromper le sort, et de quel droit votre panse en revint pleine alors que la famine était de garde, et d’où vint que le froid ne plongea point ses crocs dans votre gorge nue ? (car à quoi bon l’hiver s’il n’éradique à fond la vermine !) Et que fait la morale ! oui, que ne s’insurge-t-elle ! et qu’attend son scribe et amant, un certain La Fontaine, pour corriger ce scénario qui la trahit au point qu’à ma vue vous reparaissez, et surtout paraissez si peu maigre !

– Paresser... me tient lieu de repas, ne vous déplaise.

– Dieu ! votre voix aussi est de retour. Mais l’est-elle assez pour me répondre enfin : comment, sans recours à mon grain, avez-vous pu rester grasse ?
– Grâce au succès de notre fable. Eh oui ! depuis qu’elle a paru, tout esthète en fonction m’invite au Fouquet’s. On s’active même à monter un ballet, La Belle au bois dormant, rien que pour m’en donner le rôle titre. Dormir cent ans, quel pied ! (Reste à savoir sur lequel danser.) Reste aussi un rôle à pourvoir, de sorcière ! et, pas rancunière, je pense à vous pour l’incarner, car elle enfourche, devinez quoi, un balai ! Alors, troquez le vôtre... contre un qui vole (et fait tout seul le ménage).

– Mais ce serait trahir l’auteur de mes paroles  !

– Allons ! votre La Fontaine a déjà, outre son épouse, trompé la morale pour embrasser ma cause, puisque au seuil du trépas il fit graver en vers (voire en vermisseaux) qu’il s’en était allé comme il était venu, ayant mangé le fonds avec le revenu et partagé sa vie sur Terre entre dormir... et ne rien faire.



in « Fables de compagnie » édition 2010 (voir LIBRAIRIE)


par Julie DESMET (bio) et Philippe LEJOUR (bio) :

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