– Alors que la bise est repartie d’où elle était venue et que
gonfle à nouveau le grain à récolter, voici qu’un rêve en plein
jour me colle aux yeux : la cigale (encore elle) y tient le
premier rôle, et cette emprunteuse éconduite y danse sans
pudeur... sous une pluie d’écus ! Illusion certes, mais tenace !
(qu’il convient de dissoudre au plus vite) et l’allant effacer
d’un revers de main, je me heurte à un corps... insoluble dans
l’air ! Vous vivante et respirant encore ! alors que la rumeur
vous avait mise en bière. Mais par quelle impudence avez-vous pu
tromper le sort, et de quel droit votre panse en revint pleine
alors que la famine était de garde, et d’où vint que le froid ne
plongea point ses crocs dans votre gorge nue ? (car à quoi bon
l’hiver s’il n’éradique à fond la vermine !) Et que fait la
morale ! oui, que ne s’insurge-t-elle ! et qu’attend son scribe
et amant, un certain La Fontaine, pour corriger ce scénario qui
la trahit au point qu’à ma vue vous reparaissez, et surtout
paraissez si peu maigre !
– Paresser... me tient lieu de repas, ne vous déplaise.
– Dieu ! votre voix aussi est de retour. Mais l’est-elle assez
pour me répondre enfin : comment, sans recours à mon grain,
avez-vous pu rester grasse ?
– Grâce au succès de notre fable. Eh oui ! depuis qu’elle a
paru, tout esthète en fonction m’invite au Fouquet’s. On
s’active même à monter un ballet, La Belle au bois dormant, rien
que pour m’en donner le rôle titre. Dormir cent ans, quel pied !
(Reste à savoir sur lequel danser.) Reste aussi un rôle à
pourvoir, de sorcière ! et, pas rancunière, je pense à vous pour
l’incarner, car elle enfourche, devinez quoi, un balai ! Alors,
troquez le vôtre... contre un qui vole (et fait tout seul le
ménage).
– Mais ce serait trahir l’auteur de mes paroles !
– Allons ! votre La Fontaine a déjà, outre son épouse, trompé la
morale pour embrasser ma cause, puisque au seuil du trépas il
fit graver en vers (voire en vermisseaux) qu’il s’en était allé
comme il était venu, ayant mangé le fonds avec le revenu et
partagé sa vie sur Terre entre dormir... et ne rien faire.