Le Bourdon et les Savants
L'Amour et la Science
Sont des Maîtres fort différents.
Les bien servir tous deux, exige maints talents.
Amour, très volontiers, vous fait perdre conscience
Dame Science, au rebours, force la Connaissance.
Eh bien, direz-vous, qu'en est-il
De l'amour de la Science ?
Sur cette question fort utile
Qui pourrait enrichir l'Emile
Et contenter l'ami Rousseau
Voici quel sera mon propos :
Dans un jardin fleuri, où s'ouvraient les bourgeons,
Profitant des bienfaits dont le verger abonde
Et la robe zébrée par le soleil et l'ombre
Sire Bourdon,
Moine velu et vrombissant, plus rond
Qu'un gros bouton de capiton
Faisant en volant son marché.
Grave, pesant, et affairé,
Il passait là, en un vol prénuptial
Aux multiples escales,
Pour un festin de Floréal :
Humant, suçant aux sources le divin pactole
Que le Printemps met dans ses fioles.
Mais le Destin frappe à la porte...
Et parfois même, il vous emporte !
Dans un filet aux nœuds serrés,
Par la Faculté mandaté.
Un chasseur le traque et vous le saisit,
Puis le transporte abasourdi
En quelque lieu tenu secret
A l'abri des yeux indiscrets.
« Messieurs, dit le Doyen, prenez toutes mesures :
Estimez l'envergure
La fréquence de l'aile
Poids à vide et en charge.
S'agit-il d'une femelle ?
Que votre tolétance n'y voie point de marge !
Vérifiez les volumes et la vélocité,
Ralentie, et accélérée.
Messieurs, soyez précis, la Science et la Patrie
En sortiront grandies ! »
Ainsi fut fait,
Et fort bien fait :
La Science est fille de l'Ethique,
Le Bourdonneur garda l'intégrité physique.
Les données furent confiées à l'ordinateur.
On attendit, pendant des heures.
Enfin, le verdict tomba...
Mettant tous nos docteurs dans l'embarras.
Calculs repris, revérifiés,
Il fallut s'y résigner :
La Science ne saurait se tromper,
Le Bourdon... ne pouvait voler !
Il était bien trop lourd. Ses ailes trop petites,
Il eût fallu les rallonger.
Pour le besoin, la fréquence en était réduite.
Nos savants l'avaient détecté,
L'animal vivait sur un mythe :
On lui mit zéro de conduite !
Et pour qu'enfin il rampe à terre
(Retrouvant le bon sens, et tête moins légère)
On décida d'en informer l'hyménoptère.
Il faut hélas ici le dire : dame Science
Ne connaît pas pire ennemi que l'Inconscience.
Ignorant tout des algorithmes,
Des biorythmes,
Des artefacts
Et de la Fac,
L'esprit obstrué de fleurs et d'exhalaisons,
Notre Bourdon
Méconnaissant les Lois de la Physique
Et de l'Aérodynamique,
S'était, par la fenêtre ouverte,
D'une aile bien trop courte, et cependant alerte,
Au ciel bleu envolé,
Dans l'azur printanier qui annonçait l'été.
Faut-il y voir une morale ?
Ce serait recette banale :
En Amour
Mettons un peu de science,
Et pour les sciences...
Usons d'un peu d'amour !
in « Fables et contes » - édition 2007
par Julie DESMET (
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