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petite  ANTHOLOGIE  de  poésie  et  de  musique  de  chambre

de Yves TARANTIK

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L'Innocence bafouée



Un agneau se désaltérait
Dans le courant d’une onde pure…» - ah bon !
Et qu’est-ce qu’il fichait là, ce maudit mouton ?
« Un loup survint à jeun, qui cherchait aventure…»
- Allez ! Je l’attendais !
J’en étais sûr…
Bon sang ! Si les loups se vivaient de vent
Ça se dirait depuis longtemps !
Les loups moi, je les plains :
Fini pour eux les jours heureux,
Les longs festins de chez Seguin,
Le Lucullus des loups, que m’évoquait l’un d’eux :
«En ce temps-là, me disait-il,
Votre race était plus civile :
Joyeusement, on vous croquait,
Qui un poupon, qui un pâtre ou un prêtre,
Mais désormais, on nous voudrait anachorètes
Et broutant le lupin. L’homme, aujourd’hui parfait,
Qui ne borne plus ses désirs,
Veut nous priver de tout plaisir.
Mordiller un manant, est l’absolu péché,
Vous l’entendrez «au loup» hurler !
C’est à vous rendre dingue :
Les bergers ont des flingues
Et leurs bergères insupportables
Jouent du téléphone portable.
Quant aux curés, plus dissimulés que Peau d’Âne,
Ils déambulent sans soutane !
- Remarquez, je me suis laissé dire
Que la soutane est indigeste ! - Mais le pire,
Est que La Fontaine lui-même,
Qu’on aime, et qui nous aime,
Un grand ami des hôtes de ces bois,
Notre marquis de Carabas,
Abusé par la feinte candeur de l’ovin,
Aura cautionné ce déni ! Car enfin,
Il faut crier la vérité :
Ce mouton était un enragé !
Un provocateur, un militant d’Attac,
Un trotskiste hypocondriaque.
Et bien sûr mon parent était là par hasard,
Par nécessité, pour se désaltérer...
Un point c’est tout ! Le reste est tintamarre,
Et calembredaines.
D’ailleurs, si ce laineux au regard plein de haine,
N’avait toisé mon aïeul dans les yeux,
Eh bien, mesdames et messieurs,

Nous n’en serions pas là ! Car enfin, posez-vous
La question : ce pré-salé voyant un loup,
Ne pouvait-il plonger dans la proche rivière ?
- Ça l’aurait dessalé un peu - Il eut rejoint
Ses congénères, leurs bergers et leurs chiens,
Tortionnaires de la gent débonnaire
Des gentils loups exubérants. Et puis, jurés
Intègres, prenez le temps de goûter
Cet ultime argument : (Je vous le sers tout net,
Car je vous sais honnêtes)
Les Loups, ne se mangent pas entre eux !
Contrairement à certains,
Que nous connaissons bien…
Et qui devraient, ici, baisser les yeux !
Enfin, et à l’inverse du mouton,
N’allons pas jouer les fanfarons :
Si la nature nous a fait poisson rouge,
Souris blanche, petit chaperon rouge,
Ou tranche de pâté,
Faut-il encor aller se balader,
Sous le nez d’un matou ou d’un loup affamé ? »

Ainsi parlait mon Loup,
Fuyant je ne sais où.
Dieu le garde à jamais de tes cruels auspices
Ô faillible Justice !


in « Fables et contes » - édition 2007


par Philippe LEJOUR (bio) :
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