en   MOT  dièse
petite  ANTHOLOGIE  de  poésie  et  de  musique  de  chambre

de Yves TARANTIK

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L'homme moderne



Un touriste étourdi, s’étant un peu trop
Écarté du troupeau,
Avait fini par s’égarer dans le désert.
Sans eau, sans vivres et sans boussole,
Dépossédé de l’espoir qui console,
Il avançait, le corps
Traversé par les javelots de lumière,
Comme ces morts
Qu’on voit portés dans leur ultime élan,
Vers les sables mouvants de l’océan du Temps.
Soudain, il entrevoit une oasis :
C’était la fin de son supplice !
Mais... notre égaré était cartésien.
Et les faits étaient là : La soif et la faim,
Et le soleil ardent :
“ Mon Dieu, en conclut-il en suffoquant,
La Mort, pour me saisir, enfante ce délire :
Arrière, simulacre trompeur ! Arrière
Délétère poison de ma pauvre raison.
Je sais trop que tu n’es qu’un mirage... ”
Cependant, mécaniquement,
Il s’avançait et les brumes se dissipant
L’oasis se précisait.
Déjà l’épaisse verdure altérait
Les feux impuissants du soleil.
Déjà la palmeraie lui offrait sa propice
Fraîcheur, et dans l’ombre complice,
Il discerna le doux murmure
D’une source d’eau pure :
“ Arrière ! Arrière ! maudite chimère… ”
Reprit-il en son for intérieur.
(Les lèvres tuméfiées, il ne pouvait crier
Sans hurler de douleur !)
Et maintenant son front brûlant

Effleurait la palme d’un dattier
Ployant sous le poids des fruits moelleux.
Mais il restait là, sans tenter un geste
Vers l’eau cristalline dont les miroitements
Ravivèrent un instant, l’éclat déjà passé
De ses pâles rétines.
Il mourut peu de temps après ! Le lendemain,
Deux bédouins qui rentraient chez eux
Découvrirent le corps : “ Regarde ! dit l’un d’eux
Ces occidentaux sont curieux :
Celui-là est mort de soif
À deux pas de la fontaine, et de faim
Avec les dattes presque dans la bouche...
Tu y comprends quelque chose, toi ?
- Ah… bah... dit l’autre, moi,
Ça ne m’étonne pas plus que ça :
Ce doit être un rationaliste... voilà tout !
- Ah... reprit le premier,
Tu veux dire, un de ces types
Qui ne croient qu’en ce qu’ils comprennent ?
Qui nomment “ superstition ” ou “ ignorance ”
Tout ce qui échappe à leur science :
Ce qu’ils appellent un homme moderne !
- Ouiii... c’est ça, dit l’autre :
C’est comme ça qu’entre eux ils se nomment ”.
Je vois ici deux conclusions.
La première, je l’emprunte à Boileau :
Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable.
Quant à l’autre, je la sais d’expérience :
Souvent, ce n’est pas tant
Ce qui nous arrive qui nous fait du mal,
Que la façon dont nous y répondons.



par Philippe LEJOUR (bio) :
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